Crossed

Il n'y a pas d'espoir. Pas de héros.
Personne ne viendra vous sauver.
VOUS ÊTES SEUL.

Une mystérieuse infection s'est propagée partout dans le monde. Les victimes se transforment en tueurs psychopathes. Ils n'auront qu'un seul objectif : assouvir leurs pulsions meurtrières. On suivra dès lors un petit groupe de survivants qui essaieront de se frayer un chemin dans une Amérique dévastée, pour rejoindre l'Alaska.

Première mise en garde : âmes sensibles s'abstenir. Crossed est gore, malsain, dérangeant. Les infectés ne se livrent pas à de simples meurtres mais à des scènes de tortures, de viols, de nécrophilie, de cannibalisme, j'en passe et des meilleures. Et on peut faire confiance à Garth Ennis pour mettre la barre très haute dans tous ces domaines.
Mais, comme pour The Boys par exemple, Ennis légitime le tout, même les scènes les plus osées, avec une écriture impeccable. Tout est fait pour nous immerger, nous faire ressentir les émotions des survivants. Tout d'abord avec ces fameuses scènes choquantes mais aussi par la construction même de son récit. Les chapitres ne se suivent pas chronologiquement, comme si Ennis voulait nous dérouter, comme sont déroutés nos protagonistes. C'est très habile et cela sert vraiment le contexte. Les survivants sont livrés à eux même, avancent presque à l'aveuglette et ne doivent en aucun rester plus de quelques heures à la même place. Ennis ne s'attarde pas sur la psychologie des survivants comme s'il ne voulait pas que nous fassions connaissance, que l'on s'y attache. Après tout, n'importe lequel d'entre eux pourraient mourir dans la minute.
En un mot : intense !
Le plus dérangeant est peut être cette fascination morbide qui s'installe au fil des pages, qui nous pousse à regarder chaque détail des scènes de tortures avec une grimace sur le visage. Et finalement on se demande qui sont les plus inhumains ? Ces êtres infectés livrés à leurs pulsions ou ces survivants qui sont parfois prêts au pire pour rester en vie ?
Gath Ennis met le doigt où ça fait mal...encore.

Fatalité des nouveaux venus, j'arrive à la bourre sur le topic...

Autant je conçois qu'on puisse refuser de s'aventurer dans une telle lecture, car, après tout il est légitime de refuser de s'infliger certaines formes de violences graphiques, autant je crois qu'il est important de souligner que concernant ce titre, la violence est bien plus qu'un outil de buzz marketing : elle est un élément essentiel aux questions amenées par le récit et le sujet n'aurait pas fonctionné sans cette violence nécessaire.

Crossed va certes très loin dans l'horreur et dans l'immoral mais c'est précisément cette transgression qui amène à certains questionnements. Qui assisterait de loin à un viol tout en passant son chemin ? Qui abandonnerait lâchement une victime à ses bourreaux ? Qui sacrifierait un membre de son groupe pour des questions de survie ? Qui oserait assassiner de sang froid un enfant ? PERSONNE, évidemment. Mais avec Crossed, c'est comme si l'auteur nous disait : "Ah oui, tu ne ferais jamais une chose pareille ? Et dans ce cas là, dans ce cas précis, t'es sûr que tu n'y réfléchirais pas à deux fois ?". Et effectivement, ça marche. La violence et le sordide auxquels ce comics nous confronte nous amène inévitablement à nous poser la question fatidique, qui dépasse le jugement que l'on puisse émettre sur chacun des personnages : et moi, qu'aurais-je fait à sa place ?

Nous confronter au pire de l'horreur, à un monde dans lequel les règles qui fondaient notre société ont disparu en même temps que toute moralité, à une humanité en miettes luttant pour sa survie en dépit d'un monde qui ne laisse aucune place à l'optimisme, c'est peut-être le seul moyen de nous pousser dans nos retranchements et de nous amener à nous poser des questions aussi odieuses que : jusqu'où serais-je moi-même prêt à aller pour survivre et protéger les miens ?

Une violence certes atroce donc, mais qui vaut le coup d'être affrontée. Car elle nous met au pied du mur en nous posant, quasi à chaque page, la question fatidique : "et toi, au lieu de juger et te t'indigner, t'aurais fait quoi à leur place ??".

Ils sont partout.
Hommes, femmes et enfants, tous victimes d’une mystérieuse infection qui change les parents en tueurs et les amants en violeurs. Sans pitié, ils répandent le mal sur Terre et traquent les derniers membres de notre espèce agonisante.
L’espoir de trouver un refuge s’amenuise pour les survivants de l’épidémie. Tout autant que leurs forces et les vestiges de leur humanité.
Qu’en restera-t-il au terme de leur fuite éperdue ?